mercredi 14 mai 2014

Un nom bien convaincant

Vous attendez un heureux événement et, comme tous les futurs parents, cherchez le prénom dont vous gratifierez votre progéniture. Avant d'opter pour le ravissant Gresstrojndryhm, que vous avez rapporté d'un voyage exotique (et qui va aussi bien aux garçons qu'aux filles), réfléchissez deux secondes. Ne craignez pas l'employé de mairie tatillon renâclant à l'idée d'enregistrer ce prénom : si Djaizon, francisation d'un Jason américain de série Z, a pu être validé (véridique), Gresstrojndryhm obtiendra la bénédiction de l'état civil. Non, pensez plutôt à cette étude néo-zélandaise publiée en février dans la revue PLoS ONE, dont les auteurs se sont demandé quelle influence pouvait bien avoir un nom imprononçable sur la crédibilité de celui qui le porte.
La question peut sembler saugrenue mais plusieurs indices suggèrent qu'elle ne l'est pas tant que cela. Ainsi, entre deux additifs alimentaires, c'est celui au nom le plus simple qui est considéré comme le plus sain. L'action de Bourse à l'acronyme prononçable a de meilleures performances que celle dotée d'une simple série d'initiales. Autre exemple : on estime la sécurité d'un manège de fête foraine à la facilité avec laquelle on peut lire son nom. En fait, soulignent les psychologues néo-zélandais, le caractère plus ou moins prononçable des noms fait partie des « informations métacognitives », ces petits indices accompagnateurs, pas forcément pertinents, auxquels nous nous raccrochons inconsciemment pour nous faire une idée sur la valeur des choses.
ADRIAN PLUS FIABLE QUE YEVGENI
En va-t-il de même pour les humains ? Des noms de nos congénères, nous extrayons des informations sur leur sexe, leur origine ethnique ou leur milieu social. Ainsi, Amédée de La Rochequipointe ne bénéficie pas des mêmes a priori que Djaizon (encore lui) Troufignon (vraiment pas de chance). Mais entre deux noms voisins, que l'un soit compliqué à déchiffrer et à prononcer suffit-il pour connoter négativement celui qui le porte, ses propos, ses idées ?
Pour le savoir, nos chercheurs ont élaboré une série d'expériences en commençant par dresser, à partir des journaux et des sites Internet de différentes régions du monde, des listes de noms classés suivant la difficulté qu'on avait à les lire. En Europe de l'Est, par exemple, Andrian Babeshko faisait partie des faciles et Yevgeni Dherzhinsky des ardus. Neuf de ces binômes étaient ensuite testés auprès de panels. Résultat : les noms simples à prononcer semblaient plus familiers, et leurs porteurs plus dignes de confiance…
QUELLE INFLUENCE DU NOM DES ACCUSÉS DANS LES PROCÈS ?
Dans un second test, les chercheurs ont mixé les noms avec des affirmations, ce qui donnait des phrases du genre « Yevgeni Dherzhinsky prétend que les tortues sont sourdes ». Les cobayes devaient dire si les assertions leur semblaient vraies ou fausses. Dans la droite ligne de l'expérience précédente, ce que déclaraient les personnes aux noms bien prononçables paraissait plus vraisemblable. Toutes ces différences de jugement pourraient s'expliquer par un biais cognitif, le cerveau préférant les informations fluides plutôt que celles qui lui posent un problème. Du coup, selon les auteurs de l'étude, il y aurait lieu de s'interroger sur l'influence que pourraient avoir, dans les procès, les noms des accusés, des témoins ou des experts…
Revenons au prénom de votre futur bébé. Si vous prévoyez à ce bambin une grande carrière politique, faites dans le simple et le convaincant (en un seul mot) – Nicolas, Marine, François, Ségolène, etc. Laissez tomber Gresstrojndryhm.

Le Monde

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