mardi 23 juillet 2013

Sur le CV le prénom donne une indication immédiate de l’origine sociale

Atlantico : Comment les parents choisissent-ils le prénom de leurs enfants ? Quels sont les éléments qui jouent un rôle déterminant dans cette décision ? 

Stéphanie Rapoport : Suite à un sondage effectué sur meilleurprenoms.com, il apparaît que pour 65% des parents le critère numéro un est la sonorité. Vient ensuite l’accord entre le prénom et le patronyme, puis l’originalité.  Si on regarde le top 20 des prénoms actuels, chez les femmes on en compte 9 qui se finissent par "a", tandis que chez les hommes ils ont tendance à se terminer en "o", "éo" ou "el" (Gabriel, Raphaël, Maël, etc). On reste dans les prénoms très courts : 5 lettres, 2 syllabes. Les plus attribués correspondent à ce modèle, avec beaucoup de sonorités rondes, de juxtapositions de voyelles, et surtout des "a" pour les filles. La génération des années 1980-90 a été très marquée par les prénoms américains inspirés des séries américaines comme Kevin, Jason ou Jennifer. 

Dans quelle mesure les références culturelles des parents influencent-elles leur choix ? 

Il a été sociologiquement démontré que ces prénoms issus des séries américaines ont été des marqueurs d'un milieu social plutôt ouvrier. Il est vrai que les porteurs de ces prénoms qui recherchent aujourd’hui un emploi ou évoluent socialement n’en sont pas spécialement ravis, car ils sont très conscients de la connotation sociale qui y est associée. J’ai reçu des commentaires de la part de personnes s’appelant Kevin ou Jennifer, et qui disent bien qu’elles ne sont pas heureuses de porter ces prénoms, très stigmatisés par la presse, entre autres. On ne peut pas faire de généralités, néanmoins la tendance est réelle. Par exemple, sur le CV le prénom donne une indication immédiate de l’origine sociale. 

Faut-il encourager les futurs parents à peser toutes les implications de leur choix de prénom pour l’avenir de leur enfant ? 

Prenons l’exemple de la chanteuse Adèle. C’est un prénom élégant, souvent choisi par les classes supérieures, et qui passe très bien dans tous les milieux. Le problème des Kevin et Jennifer vient du fait qu’avant l’arrivée de ces séries américaines en France, ils étaient pratiquement inconnus chez nous. Ils ne pouvaient pas ne pas être associés aux séries. Si aujourd’hui on appelle son enfant Rihanna ou Shakira, les oreilles vont immédiatement se dresser, puisque ces noms n’existaient pas avant elles. Si on veut être sûr de donner un prénom passe-partout en France, mieux vaut miser sur le classique ou le rétro. On peut être sûr qu’ainsi l’enfant n’aura jamais aucun souci - ce qui n'interdit pas la recherche d'originalité, bien entendu. 

Les parents se rendent-ils compte de la responsabilité qui est la leur au moment de prénommer leur enfant ? 

Avant, on appelait les gens par leur nom de famille. Aujourd’hui, le prénom est tellement  fondateur de l’identité que les parents se rendent tout à fait compte de leur responsabilité. La question du prénom est d’ailleurs beaucoup plus médiatisée que dans le passé. 

Beaucoup de parents sont-ils amenés à regretter leur choix de prénom ? Quelles sont les causes de ces regrets ? 

Un sondage nous a permis de savoir que 97 % des parents ne regrettent pas leur choix. Il est très difficile pour un parent de procéder à une telle critique : on s’habitue naturellement au prénom que porte son enfant, au point qu’on dit souvent qu’il le porte bien. Parmi les 3 % qui disent regretter leur choix, les raisons avancées sont, à proportions à peu près équivalentes : trop répandu, trop rare, trop original, trop connoté socialement. 6% de ceux qui regrettent estiment avoir inventé le prénom de leur enfant.

Une étude de référence menée en 1946 aux Etats-Unis a mis en avant une corrélation entre l'estime qu’on a de soi et le prénom que l'on porte. Pour être heureux, faut-il avoir un prénom facile à porter ? 

Ceux qui portent mal leur prénom sont complexés, et cela transparaît dans toutes les démarches qu'ils peuvent être amenés à faire. Psychologiquement, ne pas aimer son prénom peut avoir pour effet d’aigrir la personne. Car détester son prénom, c’est se détester soi-même.  Des études ont été menées dans plusieurs pays, montrant que des personnes affublées d’un prénom compliqué ou négatif, et donc a priori handicapant, ont une réaction extrêmement positive qui leur permet de très bien s’en tirer. Une famille américaine avait appelé son cinquième enfant Loser (Perdant), et le sixième, Winner (Vainqueur). Chose incroyable, ledit Winner est maintenant en prison, et Loser mène une carrière réussie de policier. Il s’est parfaitement accommodé de son prénom, et demande même à ce qu’on ne cherche pas à en changer la prononciation. De nombreuses études montrent qu’un prénom compliqué peut tout à fait façonner de manière bénéfique un enfant. Tout est question de tempérament. J’ai la conviction profonde qu’un enfant costaud psychologiquement qui a un prénom excentrique s’en sortira très bien parce que justement, il se renforcera dans sa personnalité. Son prénom l'amenant à être davantage au cœur de l'attention, il mettra en exergue ses qualités. A l’inverse, une personne fragile, qui n’a pas confiance en elle, et qui a un prénom farfelu, en souffrira énormément. 

Un jeune Pierre et un jeune Léonidas partent-ils dans la vie avec les mêmes chances ?

Avec Pierre ou Louis, il n'y a pas de prise de risque, tandis qu’avec Léonidas les choses sont plus incertaines. Cependant, si l’enfant appelé Léonidas est costaud, il se fera remarquer, ce qui pour lui sera un atout. Le problème fondamental étant qu’on ne peut pas connaître la personnalité de l’enfant à naître. 

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lundi 8 juillet 2013

Pour une mention « très bien » au bac, mieux vaut s’appeler Adèle

Les Diane ou Adèle élèves en terminale ont une chance sur cinq d'obtenir leur bac avec une mention "très bien". Les Sabrina, Mégane ou Cindy sont, elles, moins de 3 % à décrocher la plus haute mention. Chez les garçons, mieux vaut s'appeler Grégoire ou François que Steven ou Jordan.

Chaque année, le sociologue Baptiste Coulmont, maître de conférences à l'université Paris-8 et auteur d'une Sociologie des prénoms (La Découverte, 2011), épluche les résultats du baccalauréat et se penche sur les prénoms des bacheliers ayant obtenu une mention "très bien". Il en tire un tableau qui permet de voir, en ordonnées, la prévalence des prénoms parmi les candidats au bac 2013 et, en abscisses, la proportion de mentions "très bien".

"Si l'on ne garde que les prénoms qui apparaissent plus de 30 fois dans la base, ceux qui sont associés à un taux énorme de mention 'TB' sont : Ulysse, Guillemette, Quitterie, Madeleine, Anne-Claire, Ella, Sibylle, Marguerite, Hannah, Irene, Octave, Domitille (qui sont entre un quart et un tiers à obtenir une mention), écrit le chercheur. À l'opposé, moins de 2 % des Asma, Sephora, Hakim, Kimberley, Assia, Cynthia, Brenda, Christian, Bilal, Brian, Melvin, Johann, Eddy, et Rudy ont obtenu mention 'TB'."

Il ne faudrait pas croire pour autant qu'un prénom peut déterminer la réussite scolaire d'un enfant, met en garde Baptiste Coulmont. Sa recherche, moins futile qu'il n'y paraît, illustre surtout l'influence de l'origine sociale des élèves sur leur réussite scolaire. Car, derrière les prénoms sur- ou sous-représentés parmi les meilleures notes du bac, se cachent des catégories sociales que l'on devine au travers de certains choix de prénoms, même si ceux-ci sont une indication "imparfaite et floue de l'origine sociale de celles et ceux qui le portent", souligne le sociologue.

"Dans un système éducatif où 90,6 % des enfants de professeurs ont un bac, contre 38 % des enfants d'employés (selon le suivi des enfants entrés au collège en 2005), ces statistiques dessinent avant tout une sociologie des prénoms, commentions-nous l'an dernier au sujet des résultats 2012. Et c'est une géographie mouvante." En 2012, les Madeleine, Côme ou Ariane avaient été ultra performants au baccalauréat, traduisant la popularité de ces prénoms parmi les milieux intellectuels et aisés... en 1996 !

Reste à savoir si les Lucas, Mathis, Emma et Chloé, qui ont été les prénoms les plus donnés en 2011 en France, obtiendront d'aussi bons résultats à leur baccalauréat, en 2029.